Projets Nomades
Wakhis : Peuple mémoire
Étroit couloir à la frontière du Tajikistan, de la Chine et du Pakistan, le corridor du Wakhan fut emprunté jadis par Marco Polo et les marchands de la route de la soie. C’est un havre de paix dans un pays en guerre depuis près de 40 ans, une région où les talibans n’ont jamais pu entrer.
Ce territoire oublié est comme un petit doigt tendu, une étroite bande de terre, glacée et perchée au Nord-est de l’Afghanistan. Héritage du Grand jeu, créé à la fin du XIXème siècle par les Anglais afin de se protéger de l’empire Russe, le corridor fait 300km de long sur 20 à 60 de large et culmine entre 2500 et 7000m d’altitude.
Les Wakhis sont selon les dernières estimations 17 000 et sont les paisibles habitants de ce corridor. Ismaïliens, branche de l’islam Chiite, ils ont comme guide spirituel l’Aga Khan. Principalement agriculteurs et éleveurs, leurs vies s’équilibrent entre la vallée où ils cultivent le blé et l’orge et les deux Pamirs, Grand Pamir (Pamir-e-kalang) et Petit Pamir (Pamir-e-Khord) où chaque été ils emmènent chèvres, moutons, yacks et chameaux paître.
Dans les Deux Pamirs, vivent principalement les Kirghiz d’Afghanistan. Ils ont été coincés dans ces hauts plateaux en territoire afghan à la fin du XIXème siècle et au moment de la révolution Russe de 1917. Piégés par les frontières, ils sont restés vivre avec leurs troupeaux de chèvres, de moutons et de yacks à plus de 4500m d’altitude. Marginalisés géographiquement, abandonnés par l'état, dénués de toute infrastructure médicale, la vie des Kirghiz est d'une rudesse extrême. La mortalité maternelle est parmi les plus élevée au monde (4 000 décès pour 100 000 naissances), quant aux enfants, la moitié meure avant l’âge de 5 ans.
Pour pallier le manque de soin et les rigueurs du quotidien, beaucoup de Kirghiz s’adonnent à l’opium, apporté sous forme de boulette par des marchands afghans.
La communauté des Kirghiz d’Afghanistan est la plus isolée de celles vivant à des altitudes élevées.
Bien qu’isolé et délaissé par le pouvoir central le Wakhan se sent « 100% afghan », ils votent aux élections et parlent politique !
Petit espoir : depuis le milieu des années 2000, la fondation Aga Khan cherche à promouvoir le tourisme et donnent des cours d’anglais gratuitement aux jeunes Wakhis. Elle parraine également quelques maisons d’hôtes le long du corridor.Je suis partie à la rencontre des peuples inaccessibles du Whakan. En mai 2018, je suis restée dans le corridor afin de mieux comprendre les Wakhis et leurs coutumes. En octobre, je suis partie dans le Petit Pamir rencontrer les Kirghiz d’Afghanistan.Ce livre témoigne de mes rencontres merveilleuses.
The Kirghiz : Celestial People
It is a population settled on the flanks of the Tangri Tagh, the Pamir and Mounts Alai.
A balanced nation on the invisible fringe of rocks that separate the snow from the clouds. In the scree of its lost passes of the heights, one still distinguishes the fallen walls of the caravanserais of the silk road, and in the hollow of its green and brown steppes one hears the echo of the infinite steps of the golden horde.
And up there, at the top of the 7,439 meters of the Jengish Chokosu, the stare thrown at the horizon hooks on the lost abyss of the Taklamakan desert and the grey mist of the warm lake of Yssik Koul. Perhaps, by standing on tiptoes, one could see far in distance the golden dome of the Gur Emir of Samarkand, the tomb of Tamerlan.
Here and there survive the presumptuous traces of the great conquerors, from Sikander to Stalin, who in their audacity thought they were domesticating this nation of the mountain. Empty buildings, factories populated with cows, monuments to the glory of heroes from the distant plains. But the Kyrgyz have always made fun of predators. Were they not born of forty women impregnated by a griffin? Aren't they the descendants of those ferocious chopendoz who played bouzkachi with the skin of wolves?
I went to Kirghizstan to pursue my photographic work on isolated nations.
When I arrived at the top of the celestial mountains, I saw the infinite freedom of the landscapes. Saw the Kyrgyz unchanging in the face of the kings, the gods, luck and victory.
During this trip, I shared the daily life of an eagle, I was invited to ride a horse for a Kok Buru, I visited old and abandoned workshops/ateliers where uranium was exploited, I
lived with inhabitants who gifted me with great moments of intimacy.
I didn’t try to photograph everything, I opened my eyes, shared, gave and received a lot from the Kyrgyz who feel free in their steps and mountains on their celestial horses.
This reportage is my outlook on this small enclaved country who, since 30 years, returns to forgotten traditions under the Soviet Union.
Les Kirghizes : Peuple Céleste.
C’est un peuple posé sur les flancs du Tangri Tagh, du Pamir et des Monts Alaï. Une nation en équilibre sur l’invisible frange de pierres qui sépare la neige des nuages. Dans les éboulis de ses cols perdus des hauteurs, on distingue encore les murs tombés des caravansérails de la route de la soie, et dans le creux de ses steppes vertes et brunes on entend l’écho des pas infinis de la horde d’or.
Et là-haut, tout en haut des 7 439 mètres du Jengish Chokosu, le regard lancé à l’horizon accroche l’abîme perdu du désert du Taklamakan et les brumes grises du lac chaud d’Yssik Koul. Peut-être, en se hissant sur la pointe des pieds, pourrait-on apercevoir au loin le dôme doré du Gour Emir de Samarcande, la tombe de Tamerlan.
Ici et là survivent les traces présomptueuses des grands conquérants, de Sikander à Staline, qui dans leur audace ont cru domestiquer ce peuple des montagnes. Des immeubles vides, des usines peuplées de vaches, des monuments à la gloire de héros venus des plaines lointaines.
Mais les Kirghizes depuis toujours se moquent des prédateurs. Ne sont-ils pas nés de quarante femmes fécondées par un griffon ? Ne sont-ils pas les descendants de ces féroces tchopendoz qui jouaient au bouzkachi avec la peau des loups ?
Je suis allée au Kirghizistan poursuivre mon travail photographique : photographier les peuples isolés.
Arrivée au sommet des montagnes célestes j’y ai vu l’infinie liberté des paysages. Vu les Kirghizes immuables face aux rois, aux dieux, la chance et la victoire.
Pendant ce voyage, J’ai partagé le quotidien d’un aiglier, j’ai été invitée à enfourcher un cheval le temps d’un Kok Buru, j’ai visité d’anciens ateliers abandonnés dans des villes où l’on exploitait de l’uranium, j’ai vécu chez des habitants qui m’ont fait cadeau de superbes moments d’intimité…
Je n’ai pas cherché à tout photographier, j’ai ouvert les yeux, partagé, donné et beaucoup reçu de la part des Kirghiz qui se sentent libres dans les steppes et les montagnes sur leurs chevaux célestes.
Ce reportage est mon regard sur ce petit pays enclavé qui depuis 30 ans retourne à des traditions oubliées sous l’Union Soviétique.
The Nenets : Children of Noum
They are the flakes of humanity roosted in the bare, white cracks of the world. In the frozen terra firma of the Arctique where its name is restituted for that of the permafrost. Vigorous meticulous dots of fur in the boundless midnight of the north, they follow the reindeers. They are the Nenets.
The daughters and sons of Noum, God of the sky and tempest. The last Samoyeds of Siberia. Children of another Noum who prevailed under the Egyptian sun the ocean God.
The nomads of the snow. Who drifted here from the froth of the translucent waters that prevailed before the Earth. During the day they walk between Kanin and Taimyr, navigating through the Ob and Yenisey rivers. At night, they are enrobed by the green boreal shawl, they assemble their chums, considerable cone-shaped tents, made of reindeer fur.
They are the Nenets.
The fierce nomads of the red empire. The inhabitants of a snow and ice covered layer which we call the Tundra. How much longer will they survive this passing time? In the snow that vanishes in front of the eyes of a propelling world?
They are the Nenets, lost flakes in the looming tempest.
LES NÉNÈTSES : LES ENFANTS DE NOUM
Ce sont des flocons d’humanité perchés dans la chevelure rase et blanche du monde. Dans cet arctique où la terre gelée abandonne son nom pour celui de pergélisol. Inlassables petits points de fourrure dans l’immense minuit du nord, ils suivent les rennes. Ce sont les Nénètses.
Les filles et les fils de Noum, le dieu du ciel et des tempêtes. Les derniers Samoyèdes de Sibérie. Enfants d’un autre Noum qui fut sous le soleil des égyptiens le dieu océan.
Les nomades de la neige. Portés ici par l’écume claire de cette eau d’avant la terre. Le jour ils marchent entre Kanin et Taïmyr, franchissent l’Ob et l’Ienisseï. La nuit, sous le foulard vert boréal, ils dressent leurs tchoums, de grandes tentes coniques en peau de rennes.
Ce sont les Nénètses.
Les nomades indomptés de l’empire rouge. Les habitants d’une tresse de neige et de glace qu’ici on appelle Toundra.Combien de temps encore survivront-ils au temps qui passe ? A la neige qui s’efface devant le monde qui avance ?
Ce sont les Nénètses, des flocons perdus dans la tempête qui s’annonce.
Vorkuta, la guillotine glacée
Vorkuta, la guillotine glacée
Je suis arrivée à Vorkuta, surnommée la ville de la toundra, un peu par hasard à la fin de mon voyage chez les Nénètses. Février, froid polaire, nous avons fait 12 heures de train pour parcourir 170km. En effet, Vorkuta, la ville la plus à l’Est du continent Européen, au nord des Monts Oural, n’est toujours pas reliée au reste de la Russie par la route.
Ancienne ville de Goulag, cette ville a été construite dans les années 30 à proximité de 14 mines de charbon dont 4 restent en activité aujourd’hui. Il existe bien une route, un cercle fermé de 54 km qui reliait 14 quartiers rattachés à leurs mines de charbon.
C’est ici que commence le voyage, avancer, découvrir ces quartiers abandonnés, imaginer que des détenus ont vécu dans ces conditions, dans cette prison sans barbelés car il était impossible de s ‘enfuir….
Vorkoutlag, ce camp, est l’un des plus durs du Goulag était surnommé « la guillotine glacée ».
Aujourd’hui, en plus d'être en crise postindustrielle, Vorkuta subit aussi celle du réchauffement planétaire. Le permafrost dégèle, le sol se ramollit, les immeubles se tordent. Ici, ce ne sont pas les eaux qui montent, c'est la terre qui fond, mêlée au charbon.
C’est une ville « en cours » d’abandon. 50,000 personnes y vivent contre plus de 120,000 au moment de la chute de l’URSS. En effet en 1991, L’Union Soviétique s’effondre et avec elle les villes principales de l’arctique. Durant la guerre froide, le pouvoir soviétique a investi cette zone frontalière. Il y a construit des villes et exploité des mines de charbon. Les salaires élevés et les subventions ont attiré des pionniers. Cependant après la chute de l’URSS, ces villes ont perdu leur intérêt stratégique. Trop chères à entretenir, elles sont rapidement abandonnées par le pouvoir : écoles et industries ferment, 50% de la population locale quitte Vorkuta
Les chiffres du Goulag (de la fin des années 1920 au milieu des années 1950) :
28 millions de détenus.
1,6 détenus sont morts dans les camps.
Environ 1 million d’exilés ont péri durant le transport dans les zones de relégation.
En 1951, Vorkuta recensait 73 000 prisonniers.
Les Samburus : Rencontre avec les nomades immobiles du Kenya
Les Samburus : Rencontre avec les nomades immobiles du Kenya.
C’était l’aube des temps. Où ni le Kenya ni le Soudan n’existaient. Il y avait le sultanat de Sennar, le royaume de Daju et celui d’Alodie qui couraient tout le long de la vallée du Grand Rift.
Des rois, des princes et des sultans y régnaient en maîtres : puissants et victorieux. Et les Samburus les traversaient. Sur un chemin de 6 000 kilomètres, des pyramides jusqu’aux grands lacs africains avec leur troupeau de vaches, de chèvres, de moutons et de dromadaires, ils marchaient vers le sud puis remontaient au nord.
C’était il y a 500 ans.
Avant qu’ils ne posent leur monde au Nord du Kenya.
Sont-ils encore nomades aujourd’hui ? Ils le disent même si leur dernier grand voyage remonte à 5 siècles. Ils sont nomades parce que le pas de leur troupeau pourrait à tout moment les emmener au delà des frontières tracées. Ils sont nomades car leur langue, leurs traditions et leur désir de vivre sont nés le long des rives pourpres de la mer Rouge, devant le bleu et le vert des grands Lacs, sous le soleil d’acier du désert. Ils sont nomades car Nkai, le dieu suprême les attend dans les montagnes, dans les arbres gigantesques, les grottes et les sources qui vivent tout au long du chemin de la transhumance.
Ils portent des colliers de perles, des bracelets et des boucles d’oreilles très colorés que fabriquent les femmes du village. Ils s'habillent d’une simple shuka(un morceau de tissu) de couleur vive qu’ils portent en jupe autour de leur hanche. Ils teignent leurs cheveux d’ocre rouge pour qu’on ne les confonde pas avec leurs cousins Massaï. Ils dansent, ils chantent mais ne jouent d’aucun instrument de musique. Ils sacrifient un taureau pour célébrer un mariage. Ils deviennent des Morran(guerrier) à 14 ans et des anciens à 30.
Ce sont des Samburus. Ils sont 200 000. Et pour toutes les couleurs du monde ils ne voudraient pas vivre dans le notre.
THE SAMBURU : AN ENCOUNTER WITH THE IMMOBILE NOMADS OF KENYA
It was the dawn of time. When Kenya and Sudan did not exist. There was the sultanate of Sennar, the kingdoms of Daju and of Alodia, which ran along the Great Rift Valley. Kings, princes, and sultans reigned here as masters: powerful and victorious. And the Samburus crossed them. Over a path of 6,000 kilometres, from the pyramids to the African Great Lakes, with their herds of cows, goats, sheep, and camels, they walked to the south and then back north again.
That was 500 years ago.
Before they settled their world in northern Kenya.
Are they still nomadic today? They say so, even if their last great journey was 5 centuries ago. They are nomadic because the footprints of their herd could lead them beyond the drawn frontiers at any time. They are nomadic because their language, their traditions, and their desire to live were born along the crimson banks of the Red Sea, before the blue and green of the Great Lakes, under the steel desert sky. They are nomadic because Nkai, the supreme god awaits them in the mountains, in the giant trees, caves, and springs that live along the path of transhumance.
They wear beats necklaces, and highly colourful bracelets and earrings made by the women of the village. They wear a simple shuka (a piece of cloth) in a bright colour, which they wear as a skirt around their hips. They colour their hair with red ochre so that they won’t be confused with their Massai cousins. They dance, they sing, but they don’t play any musical instruments. They sacrifice a bull to celebrate a wedding. They become Morrans (warriors) at 14 and old at 30.
They are the Samburus. There are 200,000 of them. And for all of the colours in the world, they would not want to live in ours.
Djerbahood - été 2014
J'ai été invitée par Mehdi Ben Cheikh, le directeur de la galerie Itinérance, avec plus 150 street-artistes de 34 nationalités qui réalisaient une performance d'art Urbain. Tous les artistes ont investi le village d’Erriad pour le sublimer de leurs graphitis. Djerbahood est un authentique musée à ciel ouvert et comme le dit Mehdi Ben Cheikh : «la culture demeure la meilleure arme contre l’obscurantisme».